Créée en 2017, la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France a pour ambition d’accompagner de jeunes chercheuses dans leur carrière scientifique en leur permettant, pendant une année, de poursuivre leur formation par la recherche au sein du Collège de France. Pour sa deuxième édition, deux jeunes femmes ont été sélectionnées, dont Emmanuelle Portugal qui, aux côtés du Pr Patrick Boucheron, étudie la culture des notaires-secrétaires royaux au milieu du XIVe siècle.

Pouvez-vous vous présenter ?

Mon parcours est le résultat de rencontres, humaines et intellectuelles. Je pense que tout est né de mon éveil aux langues anciennes aux alentours de mes douze ans. J’ai d’abord commencé par faire du latin. J’ai ensuite eu rapidement envie de me mettre au grec ancien, par amour pour l’histoire des civilisations. Mes années lycée furent bercées par l’étude des épopées homériques et des discours de Platon, ce que je fis avec plaisir en parallèle de la préparation de mon baccalauréat littéraire. L’apprentissage et la pratique de ces langues, qui sont malheureusement aujourd’hui boudés, m’a beaucoup apporté et m’a donné un accès privilégié à la culture de ces peuples fondateurs. C’est donc assez naturellement que j’ai ensuite fait mes Humanités entre les universités de Paris IV – La Sorbonne et Rennes II.

Arrivée en troisième année de licence, j’eus la chance de découvrir ce qu’étaient les archives au travers d’un cours dédié aux métiers de la Culture et du Patrimoine. Après avoir réalisé un stage aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, il devint clair que je voulais orienter mon parcours professionnel dans cette direction. Je me suis ainsi tournée vers le master « Histoire culturelle et sociale de l’Antiquité au monde contemporain » dispensé à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui orientait vers un master professionnel dédié aux métiers des archives. Cette formation qui mêlait différents types d’enseignements m’a finalement ouvert les portes du monde de la recherche et des Archives nationales. Soutenue et encouragée par mes directeurs de recherche, j’ai eu à cœur de poursuivre et d’ouvrir au travers d’une thèse les travaux que j’avais entamés en master.

Ainsi, en octobre 2011, j’ai débuté, avec un contrat doctoral du Labex PATRIMA (« Patrimoines matériels »), devenu depuis la Fondation des Sciences du Patrimoine, une thèse portant sur la culture des notaires-secrétaires royaux au milieu du XIVe siècle.

Quel est votre lien avec le Collège de France ?

J’ai eu la chance de faire la connaissance de Patrick Boucheron au cours de l’un des séminaires que je suivais en master. J’étais ravie de pouvoir le rencontrer car il a joué, aux travers de ses travaux, un rôle important dans ma formation d’historienne. La lecture de l’ouvrage qu’il a dédié à Léonard et Machiavel (Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Lagrasse, Verdier, 2008) a d’ailleurs été déterminante dans ma façon d’envisager les trajectoires biographiques des notaires-secrétaires de la chancellerie royale que j’étudie dans ma thèse.

Grâce aux conseils et au soutien de mes professeurs et du Pr Boucheron, que je tiens à remercier très chaleureusement, j’ai postulé et obtenu cette année l’une des bourses de recherches de la Fondation du Collège de France : la bourse Anna Caroppo. Je suis désormais rattachée à la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe – XVIe siècle ».  J’aurai donc la joie de suivre les enseignements dispensés par le Pr Boucheron et de pouvoir bénéficier de ses conseils.

Qu’est-ce que la chancellerie royale ?

La chancellerie est en quelque sorte l’épicentre de l’administration royale. Il s’agit d’un secrétariat qui a pour missions de rédiger, de valider et d’enregistrer les actes donnés au nom du roi. Il a à sa tête l’un des conseillers les plus importants du royaume, le chancelier, qui a pour vocation, en sus de la garde du sceau royal, de contrôler et valider les actes émis en chancellerie. Personnage politique, il siège au Conseil à la place du roi en son absence et peut prendre à sa charge des affaires juridiques. À la chancellerie, il a sous ses ordres les notaires et secrétaires, professionnels de l’écrit en charge de la rédaction des actes, dont le nombre à beaucoup varié au cours des règnes des trois premiers Valois.

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Pourquoi s’intéresser aux registres ?

Mon intérêt pour les registres était au départ purement « alimentaire ». En tant que gardiens des actes à valeur perpétuelle émis par les rois de France, les registres de chancellerie sont pour les historiens ce que les greniers sont aux meuniers. On vient souvent y puiser la matière car, bien que non exhaustifs au vu de la production des écrits royaux, ils représentent un gisement documentaire complet et relativement facile à exploiter.

J’étudie désormais les registres pour eux-mêmes et tente de cerner l’évolution de leur façonnage et des techniques leur donnant vie. L’originalité de ma démarche réside dans l’étude conjointe de différentes typologies documentaires et matérielles produites en chancellerie (registres, chartes et chartes ornées) et du parcours d’une quinzaine de notaires-secrétaires royaux. Chacun de ces éléments fait partie de la grande mosaïque de l’administration royale que je tente patiemment de mettre au jour, chacun des carreaux venant compléter le dessin d’ensemble.

Quelle est la particularité du XIVe siècle ?

Le XIVe siècle est pour moi un siècle fait de contrastes forts, où cohabitent dans tous les domaines la noirceur la plus totale et la lumière la plus puissante. Il s’agit d’un siècle de crises majeures, parmi lesquelles on peut citer la peste et la  guerre de Cent ans. A contrario, il s’agit également d’une période de structuration forte de l’administration royale, où l’État moderne voit progressivement le jour, et où l’expression artistique, dans toutes ses nuances, est particulièrement florissante. L’arrivée des Valois au pouvoir permet un développement de l’administration, déjà entamé sous le règne des derniers Capétiens. Souverains contestés, ils oscillent sans cesse entre deux tendances que les documents produits par leur chancellerie mettent en lumière : se placer dans la lignée de leurs prédécesseurs et affirmer une identité purement Valois. Le parcours des notaires et secrétaires à leur service met quant à lui en évidence la mise en place de véritables lignées notariales et permet de percevoir, au travers de la spécialisation de certains d’entre eux, les premiers frémissements de ce que deviendront les ministères.

Propos recueillis par Flavie Dubois-Mazeyrie