La lauréate 2025 de la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France, Noa Ranzer, travaille aux côtés du professeur Thomas Römer, chaire Milieux Bibliques. Son projet de recherche en archéologie vise à étudier les sceaux-cachets, objets multifonctionnels couramment utilisés dans le Proche-Orient ancien et révélateurs de liens sociaux. Attribuée chaque année à de jeunes chercheuses en sciences humaines, la Bourse Anna Caroppo poursuit le souhait de son créateur, M Lucio Toscano, grand donateur de la Fondation : accompagner ces chercheuses dans leur carrière scientifique en leur permettant de travailler pendant une année au Collège de France.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’étaient les sceaux-cachets, objets intégrés dans la vie quotidienne des peuples anciens ?

Les sceaux-cachets sont de petits objets fabriqués dans des matériaux durables. Contrairement aux sceaux-cylindres, ces sceaux-cachets ont une base plate ainsi qu’un dos généralement bombé, représentant une forme figurative (comme celle des scarabées) ou non. Leur base était gravée avec des inscriptions, des signes porte-bonheur et/ou d’une iconographie figurative. Leur forme et leurs dimensions (environ 2 cm de longueur) permettaient de les tenir facilement entre les doigts et de les estamper dans des matériaux tendres (comme l’argile), laissant ainsi une empreinte correspondant aux signes et aux images gravés sur ces sceaux. La plupart des cachets étaient perforés, ce qui permettait à leurs propriétaires de les porter assemblés avec des bijoux.

Le type le plus courant dans le Levant méridional était le scarabée. Bien que d’origine égyptienne, on en trouve des milliers dans cette région. La majorité furent fabriqués durant l’Âge du Bronze Moyen et Récent (le deuxième millénaire avant notre ère), période durant laquelle les Égyptiens et les populations levantines entretenaient des relations étroites. Une des traces matérielles de ces échanges est justement celle des scarabées, gravés de symboles importants pour les deux sociétés – religieux, politiques, ou d’autres natures culturelles.

Un scarabée incorporé dans une bague en or

Pendant l’Âge du Fer (environ 1150 – 550 av. n. ère), d’autres types des sceaux furent introduit. Cette période, marquée par de grands bouleversements socio-politiques, vit l’arrivée de peuples venus de la région égéenne (les « Philistins » ou « Phéniciens »), l’établissement de plusieurs royaumes (tels qu’Aram, Israël, Judah, Ammon, Moab, et Édom), ainsi que la domination d’empire puissants – assyrien, babylonien, et égyptien – qui exilèrent des populations rebelles et instaurèrent des royaumes vassaux. Tous ces changements se reflètent dans l’usage de sceaux : les scarabées continuèrent d’être utilisés, mais d’autres formes, comme les conoïdes – ornés d’images religieuses d’influence néo-babylonienne – furent intégrés par les populations locales. Cela traduit-il la présence d’immigrants ? La réponse est complexe, mais ces transformations révèlent surtout un profond changement du contexte politique.

La première partie de votre recherche examine les techniques de production de ces sceaux. Quel est l’objectif de cette étude ?

Dans cette partie, je me focalise sur la production des scarabées au cours du deuxième millénaire avant notre ère. Il est généralement admis dans la recherche glyptique (ndlr : art de la gravure des pierres fines) que les Levantins (également appelés « Cananéens ») ont produit localement des scarabées, en imitant les inscriptions et l’iconographie égyptiennes. Or, les spécialistes se focalisent souvent sur les bases des scarabées, en négligeant l’objet lui-même. On oublie parfois que ces objets furent fabriqués par quelqu’un, qui jouait un rôle dans une société donnée.

Je pense qu’étudier les inscriptions et l’iconographie sans tenir compte de leur support nous éloigne de la réalité concrète de l’objet. Les relations sociales entre différents groupes constituent un des sujets qui m’intéressent le plus. Cependant, comment peut-on comprendre les relations sociales de cultures dont il ne nous reste que des fragments matériels ?

La méthode de « chaîne opératoire » reconstruit les techniques de manufacture, c’est-à-dire les outils et les étapes que les artisans suivent quand ils et elles produisent l’artefact. En fabriquant des objets, on mobilise des techniques héritées d’un modèle : il existe plusieurs manières de produire un même objet, mais lorsqu’un instructeur nous enseigne comment faire, nous adoptons ses méthodes particulières. Cet instructeur s’inscrit lui-même dans une tradition propre à une société spécifique.

Ainsi, si les scarabées étaient produits dans deux régions culturellement différentes, on peut imaginer qu’ils suivaient des méthodes de fabrication distincts. Mon hypothèse est que la plupart de ces scarabées ont en réalité été fabriqués en Égypte. L’une des raisons est que la stéatite, pierre communément utilisée pour la production de scarabées dits « locaux », est d’origine égyptienne. Dans ma thèse de master, j’ai reconstruit la chaîne opératoire des scarabées provenant du Levant méridional du Bronze Moyen : il serait donc pertinent d’examiner des exemplaires égyptiens de la même période.

A l’âge du fer, ces sceaux étaient parfois intégrés à des bijoux, comme perles dans des colliers ou incorporés dans des bagues. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

L’analyse des sceaux, de leurs empreintes et de leurs contextes archéologiques a montré que la plupart étaient utilisés comme bijoux, portés en pendentifs ou montés sur des bagues. Ces modes de port exprimaient des styles distincts, constituant une forme de communication non verbale à dimension sociale (comme une bague de mariage indiquant un état civil). L’âge du Fer est caractérisé par la coexistence de plusieurs groupes sociaux. Peut-on identifier ces différences culturelles à travers leur usage des sceaux ? Si les distinctions entres les groupes étaient marquées, on peut imaginer qu’ils avaient également des manières différentes d’orner leur corps.

Un scaraboïde de lapis lazuli, intégré dans une boucle de suspension de métal

Dans ma thèse de doctorat, j’ai pu identifier certains cas où une usure spécifique des sceaux était associée à un groupe social. Par exemple, les administrateurs de Megiddo à l’Âge du Fer IIB (VIIIe siècle av. n. è.) portaient leurs sceaux suspendus à leurs vêtements. Un autre exemple provient d’Ashqelon, à l’Âge du Fer IIC (VIIe siècle av. n. è.), où les populations locales préféraient les colliers ornés de scarabées et d’autres amulettes égyptiennes. Porter des sceaux suspendus était une pratique davantage associée aux sociétés de Syrie et Mésopotamie, tandis que les colliers de scarabées et d’amulettes renvoyaient plutôt à une influence égyptienne. Ces deux exemples illustrent la complexité culturelle du Levant méridional et la diversité des identités qui y existaient pendant l’Âge du Fer.

La deuxième partie de mon projet actuel consiste à réaliser une analyse tracéologique (ndlr : étude des traces d’usures sur les objets archéologiques) : l’examen au microscope des traces des sceaux-cachets permettra d’observer plus précisément les microtraces d’usure. On pourra ainsi identifier d’anciens montages (dont le retrait a parfois endommagé le pourtour du sceau) et reconnaître les ruptures caractéristiques autour des trous de perforation, souvent causées par un anneau.

Quelle méthode de recherche utilisez-vous ?

Au début de mon travail, je réfléchis toujours à ma perspective et je construis une théorie à partir de laquelle je peux interpréter mes cas d’études. Je me familiarise également avec d’autres disciplines susceptibles d’enrichir ma compréhension d’un sujet particulier. Dans ma recherche actuelle, j’ai constaté que certains cas d’étude issus de la Préhistoire pouvaient m’aider. Pour ces époques où les sources écrites n’existaient pas encore, les chercheurs exploitent au maximum les objets disponibles afin d’en extraire le plus d’informations possible. Dans les périodes plus récentes, les textes nous aident à mieux comprendre les grands processus historiques, mais ils ne reflètent pas toujours la vie quotidienne des individus. Comme je m’intéresse aux personnes de statut social modeste, il est nécessaire d’adopter des méthodes innovantes, telles que la microscopie et le scannage 3D, qui permettent de produire de nouvelles données et d’ouvrir des perspectives inédites sur le passé.

Grâce à la bourse Anna Caroppo, vous avez l’opportunité de travailler pendant une année au Collège de France. Qu’attendez-vous de cette expérience ?

Le Collège de France compte plusieurs départements qui correspondent à mon domaine, avec d’excellents professeurs et chercheurs. Je serais ravie de découvrir leurs travaux, et il serait particulièrement enrichissant d’entendre leurs avis sur mes propres projets. Par ailleurs, j’espère établir des contacts avec d’autres institutions, comme le musée du Louvre et l’Institut Catholique, où se trouvent des sceaux-cachets que je pourrais examiner.

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Photo de couverture : Noa Ranzer reçoit la Bourse Anna Caroppo au Collège de France, aux côtés du Pr Jean-François Joanny, Président de la Fondation du Collège de France

Détail illustration n°1 : Un scarabée incorporé dans une bague en or, provenant de Megiddo (Israël), daté à l’Âge du Bronze Récent (1540 – 1191 a. n. é.). Sur la base est gravé en hiéroglyphes égyptiens le nom de Amun (un dieu égyptien). Photographie : Netanel Rinon ; Design : Ulrike Zurkinden ; crédit : CSSL (https://levantineseals.org/).(CSSL Megiddo no. 154)

Détail illustration n°2 : Un scaraboïde de lapis lazuli, intégré dans une boucle de suspension de métal, provenant de Tall al-Mazar (Jordanie), daté à l’Âge du Fer (VIIe siècle a. n. é.). Sur la base est gravé en hébreu ou en langue sémitique : « appartient à Hamirs’ / Hamids’, la fille de Sm’ / Smt ».Crédit des photos et dessins : CSAJ/OBO, CSSL ; dessiné par Ulrike Zurkinden.(CSSL Tall al-Mazar no. 2)