Créée en 2017, la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France a pour ambition d’accompagner de jeunes chercheuses en sciences humaines dans leur carrière scientifique en leur permettant, pendant une année, de poursuivre leur formation par la recherche au sein du Collège de France. Rencontre avec Ginevra Benedetti, lauréate 2021, qui, aux côtés de la Pr Vinciane Pirenne-Delforge (chaire Religion, histoire et société dans la Grèce antique), s’intéresse aux figures panthées dans le polythéisme gréco-romain.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis d’origine italienne et titulaire d’un Doctorat en Sciences de l’Antiquité. Depuis l’adolescence, passionnée par les langues anciennes, j’étais résolue à en faire mes études. L’ambiance de l’université de Sienne, valorisant la culture gréco-romaine sous une approche anthropologique, m’a immédiatement fasciné : c’est là que j’ai mené ma licence et maîtrise en Lettres Classiques, développant un intérêt croissant pour le polythéisme gréco-romain et en particulier pour la représentation antique des puissances divines et la façon de communiquer avec elles. Désireuse de poursuivre dans ce domaine de recherche, j’ai donc décidé de présenter ma candidature à une bourse de doctorat, que j’ai obtenue à l’université de Pise. L’occasion d’un séminaire à Sienne m’a fait rencontrer Corinne Bonnet, ma future directrice de thèse, grâce à laquelle j’ai signé une convention de cotutelle avec l’Université Toulouse II – Jean Jaurès où j’ai passé presque un an, au sein du groupe de recherche européen qu’elle dirige et qui porte sur l’étude des noms divins dans les polythéismes antiques. C’est à Toulouse que j’ai fait la connaissance de la Pr Pirenne-Delforge, avec laquelle j’ai eu l’occasion de discuter de mes recherches à plusieurs reprises. C’est elle qui m’a proposé de postuler à la bourse Anna Caroppo pour rejoindre le Collège de France dans le cadre de mon post-doctorat et réaliser mon rêve de poursuivre mes recherches à Paris.

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Ginevra Benedetti lors de la cérémonie de remise de la Bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France. © Patrick Imbert / Collège de France

Vous avez soutenu au printemps 2022 une thèse autour de la dénomination divine du dieu Pantheios/Pantheus dans le monde gréco-romain de la période impériale. Pouvez-vous nous présenter brièvement votre sujet ? Quel rôle joue cette divinité dans la société gréco-romaine ?

Dans ma thèse, j’ai analysé le profil de cette puissance divine, Pantheios/Pantheus, qui s’avère plutôt mystérieuse puisqu’on ne connaît d’elle que son nom : passée sous silence par les auteurs antiques, elle n’est en effet attestée comme destinataire de dédicaces cultuelles que dans de nombreux témoignages épigraphiques disséminés dans l’Empire romain. D’après son nom, formé au moyen du préfixe pan– (« tout »), Panthée semble être désigné comme un dieu « total ». Mais quelle était la portée d’une telle appellation ? À quelle totalité ce nom fait-il référence ? D’un point de vue historico-religieux, il s’agissait de comprendre l’émergence de dédicaces adressées à ce type de puissance, tout en définissant si et dans quelle mesure elle pouvait encore s’inscrire dans un cadre religieux polythéiste ou si elle devait déjà être associée à des tendances vers le monothéisme. En particulier, j’ai essayé de montrer que, loin d’assumer une connotation universalisante, les contextes d’usage de cette appellation témoignent d’une communication rituelle visant à glorifier un « Tout-Divin », une puissance éminemment divine dans telle ou telle circonstance, et jamais dans l’absolu, partout et toujours. S’adresser à un dieu en le qualifiant de Pantheios/Pantheus constitue, à la lumière de ce que nous avons observé, une stratégie de dénomination à visée pragmatique qui éclaire la fluidité et la créativité des polythéismes antiques. En fonction des circonstances, en effet, divers dieux ou déesses peuvent être « panthées », « tout-puissants », bien qu’entourés de « collègues ».

Pourquoi s’intéresser plus particulièrement aux signa panthea dans le cadre de votre post-doctorat ? 

Dans le monde romain impérial, trois inscriptions latines mentionnent la dédicace votive d’un signum pantheum, un objet manufacturé « panthée », qui est malheureusement perdu comme tel dans les trois cas. En plus de ces inscriptions, une représentation « panthée » apparaît dans l’une des épigrammes du poète romain Ausone qui décrit une statue de Liber Pater comme étant Pantheus, puisqu’elle possède les attributs de « tous les dieux ». Le rapprochement de ces deux sources a fait l’objet de nombreuses études, visant à rechercher dans la documentation iconographique ancienne des artefacts présentant une « totalité » d’éléments divins évoquée tant par le poème ausonien que par le terme pantheus, –um. En dépit des recherches qui ont déjà été menées à ce sujet, la question des représentations « panthées » demeure encore assez obscure et doit être réexaminée dans le cadre d’une étude plus globale, qui recense et analyse l’ensemble des figurations anciennes jusqu’à présent classées sous ce label. Le projet, qui m’a déjà amené à collecter plus de 200 objets « panthées », soutient et entend développer l’idée que le signum pantheum représentait un signe « très divin ». En effet, d’après des considérations préliminaires, il semble exprimer la visualisation maximale possible d’une certaine (et pas absolue) totalité divine, construite par une combinaison spécifique d’attributs particulièrement significatifs pour la constellation religieuse des agents qui les fabriquaient et les utilisaient. D’autre part, bien que les artefacts dits « panthées » ne constituent pas avec une absolue certitude les signa panthea dont témoignent les inscriptions, ils peuvent en tout cas constituer un excellent exemple des modalités par lesquelles le polythéisme gréco-romain a pensé ses dieux à travers leurs images. Lorsqu’une intensification particulière de la puissance divine était invoquée, rassembler et accumuler davantage d’attributs appartenant à différents dieux, autour d’un dieu spécifique ou non, pouvait en effet représenter un outil très efficace.

Que vous a permis de mettre en place la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France ?

Rejoindre le Collège de France et faire partie de la chaire de la Pr Pirenne-Delforge m’a donné l’occasion de consolider, au-delà de la thèse, une collaboration qui m’a déjà beaucoup apporté sur le plan professionnel et humain. Par ailleurs, la bourse Anna Caroppo m’a permis de poursuivre mes recherches dans des conditions optimales et ainsi de préparer sereinement les prochaines étapes de ma carrière académique. Je suis extrêmement reconnaissante à la Pr Pirenne-Delforge pour m’avoir accordé l’opportunité de rencontrer des chercheurs et des professeurs d’excellence, ainsi qu’à la Fondation du Collège de France pour m’avoir permise de travailler dans un environnement privilégié et aussi riche de tant d’échanges intellectuels  à un niveau international.

Propos recueillis par Flavie Dubois-Mazeyrie

Image de couverture : Gravures d’une main de Sabazius, figure panthée caractéristique de la Rome antique, issues de la collection privée de Giovanni Carafa, collectionneur italien du XVIIIe siècle