À l’occasion de l’inauguration de l’Institut des civilisations, le Pr François-Xavier Fauvelle, titulaire de la chaire d’Histoire et archéologie des mondes africains, nous propose une présentation de son domaine de recherche. Archéologue et historien, il inaugure la première chaire du Collège de France consacrée à l’histoire du continent africain, mettant en lumière l’originalité des trajectoires historiques africaines ainsi que la place cruciale occupée par les sociétés africaines dans l’histoire du monde.

Élu en 2019 Professeur au Collège de France sur la chaire d’Histoire et archéologie des mondes africains, j’intègre de ce fait un lieu qu’avait occupé avant moi l’anthropologue Françoise Héritier (1933-2017), titulaire de 1982 à 1999 de la chaire d’Études comparées des sociétés africaines. J’assume ce legs comparatiste, qui impose de prendre en considération les sociétés africaines à l’échelle du continent et dans la longue durée. C’est cette ample perspective qui permet à mon sens de faire saillir la formidable diversité sociale et culturelle de l’Afrique, telle qu’elle se laisse observer, par exemple, dans la variété des langues parlées à travers le continent, ou encore dans les systèmes d’organisation sociale et politique, les types d’économies et d’anthropisation des milieux, les formes religieuses, les techniques (lithiques, céramiques, métallurgiques…), les arts. Or, que nous dit cette diversité sinon qu’elle est le témoignage d’une pluralité de trajectoires historiques, qui ont fait et font encore cohabiter les solides royaumes centralisés et les fluides peuples pastoraux, les sociétés hautement urbaines et les communautés transhumantes ou caravanières ? Les mondes africains – au pluriel – brouillent les frontières et obligent à renoncer au schème évolutionniste et aux trop commodes catégories culturelles dont on aime à scander la chronologie (« Préhistoire », « Néolithique », « âge des Métaux », « sociétés à État » …). Le royaume antique d’Aksum, en Éthiopie et Érythrée actuelles, ou encore le puissant royaume médiéval du Mâli sont interpénétrés de sociétés pastorales vachères ou chamelières, et les chasseurs-collecteurs d’Afrique équatoriale (les « Pygmées ») ou d’Afrique australe (les San) sont nos contemporains.  Comme j’ai pu le souligner dans ma leçon inaugurale, c’est là l’une des « leçons » qu’offre l’histoire de l’Afrique à toute personne intéressée par l’histoire tout court.

C’est en revendiquant cette vision comparatiste que j’interroge la diversité et l’originalité des formations politiques de l’Afrique médiévale et leur articulation avec le Moyen Âge global. Circulation des marchands, des pèlerins, des diplomates ; mixité culturelle et émergence de nouvelles élites économiques et politiques ; naissance des « États courtiers » ; exploitation des environnements et maîtrise des seuils écologiques ; participation aux œcoumènes globaux (Chrétienté et Domaine islamique) ; circulation des matérialités et échanges marchands ; tout témoigne en vérité des multiples modalités de participation des sociétés africaines à une conversation globale qui a pour nom « Moyen Âge » et qui n’est l’apanage d’aucune province du monde. Je consacrerai d’ailleurs mon cours, plusieurs années durant, à ces sociétés africaines médiévales (Ghâna, Mâli, Gao et Boucle du Niger, Éthiopie chrétienne et musulmane, cités-États swahilies…) en y apportant l’expérience de mes propres recherches, qui m’ont conduit de l’Afrique australe à la Corne de l’Afrique, où j’ai été directeur du Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba de 2005 à 2008, et au Nord-Ouest africain.

En Éthiopie, j’ai notamment participé à renouveler en profondeur les connaissances historiques sur ce pays, tout particulièrement grâce à l’archéologie, qui a permis de définir une culture « païenne » médiévale (la « culture Shay »), de découvrir plusieurs villes musulmanes et de commencer à caractériser la culture matérielle de l’Éthiopie islamique médiévale, ou encore de revisiter le site rupestre chrétien de Lalibela et de réinterpréter sa chronologie. En parallèle, dans le Nord-Ouest africain, j’ai réexaminé les sources littéraires, archéologiques et orales relatives aux formations politiques et aux sociétés du Nord et du Sud du Sahara, dans une perspective résolument transsaharienne qui met l’accent sur les contraintes géographiques, les dynamiques d’échanges et les synchronismes. De 2011 à 2018, j’ai codirigé, avec mon collègue marocain Elarbi Erbati, un programme de fouilles archéologiques du site islamique de Sijilmâsa au Maroc, qui fut l’une des cités « portuaires » du Sahara au Moyen Âge. Nous y avons notamment mis en évidence le caractère discontinu et polycentrique de l’occupation urbaine, ainsi que la place de Sijilmâsa au sein d’un district argentifère précocement exploité.

Dernièrement, j’ai lancé un programme de recherche sur l’or africain. On sait en effet, par les sources écrites médiévales, que l’or provenant d’Afrique subsaharienne (essentiellement l’Afrique de l’Ouest et le plateau du Zimbabwe) a contribué pour une large part aux flux de métal jaune au sein du monde islamique et au-delà. Mais l’étude de la traçabilité de l’or depuis la mine d’origine jusqu’à l’objet fini continue de se heurter à des obstacles sociopolitiques (sur le terrain), épistémologiques et techniques (en laboratoire), patrimoniaux (dans les collections), qui réclament, pour être levés ou contournés, un effort pluridisciplinaire. Conjointement, avec l’appui financier de la Fondation du Collège de France, j’ai lancé la première phase de « TraçOrAfrica », un programme de tests géochimiques sur l’or afin d’élaborer une méthode d’analyse non invasive.

Conscient des responsabilités qui sont les miennes, je m’attache à renouveler la documentation, les données et leur interprétation, mais aussi à rendre les connaissances disponibles auprès de toutes celles et ceux qui font le constat que l’histoire de l’Afrique est encore trop absente des savoirs partagés. C’est avec ce même souci que ma recherche et mes enseignements se déploient de façon collective et internationale.

Pr François-Xavier Fauvelle
Chaire de d’Histoire et d’archéologie des mondes africains