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Smartphones, véhicules électriques, stockage des énergies renouvelables… les batteries sont aujourd’hui devenues un objet indispensable de notre quotidien. A ce titre, elles occupent le devant de la scène de la recherche scientifique : comment les rendre plus performantes, plus écologiques et moins chères ? Une question centrale dans le contexte actuel du développement des transports électriques et des applications réseaux. Le professeur Jean-Marie Tarascon, directeur du Laboratoire de Chimie du Solide et Énergie (Collège de France/CNRS), fait le point sur cette technologie incontournable.

 

Portrait du Pr Jean-Marie Tarascon – © Frédérique Plas/UMR 8620/CNRS Photothèque

Le réchauffement de la planète, les réserves limitées en combustibles fossiles et la pollution des villes montrent combien il est important de se tourner vers une utilisation intensive et efficace des énergies renouvelables à faible empreinte carbone et de trouver des solutions innovantes pour faciliter le passage progressif du véhicule thermique au véhicule électrique. Cette transition nécessite des efforts considérables à plusieurs niveaux, mais l’intermittence des énergies renouvelables ainsi que la nécessité d’énergie embarquée pour le transport font des batteries et du stockage de l’énergie un des défis technologiques majeurs des prochaines décennies.

De fait, le secteur des batteries est en pleine émulation. Cette ruée vers l’or s’accélère sous l’influence de multiples facteurs tant scientifiques que technologiques et économiques. Ce domaine vient d’ailleurs d’hériter d’un nouveau visionnaire en la personne d’Elon Musk, PDG de l’entreprise Tesla, dont l’objectif est de révolutionner la gestion de l’énergie de demain en mettant de l’énergie propre en grande quantité et à bas coût à disposition de tous. C’est ainsi que la Gigafactory TESLA implantée au Nevada produira à elle seule en 2020 plus de batteries lithium-ion qu’il ne s’en produit chaque année dans le monde actuellement. La construction d’une seconde Gigafactory a d’ores et déjà été annoncée à Shanghai, ce qui diminuera encore le prix des batteries, aujourd’hui à environ 350 dollars du kilowattheure, aux alentours de 100 dollars en 2025.

Il existe une grande variété de batteries mais elles ont toutes un dénominateur commun, celui d’être constituées de deux électrodes (positive et négative), immergées dans un électrolyte qui assure des échanges ioniques, et non électroniques, afin de maintenir la neutralité électrique. Ce sont les deux réactions d’oxydoréduction fonctionnant en tandem à l’électrode positive et à l’électrode négative qui permettent à la batterie de produire de l’énergie électrique. La nature chimique des couples d’oxydoréduction détermine le potentiel de sortie, exprimé en volts, de la batterie.

Parmi les différentes chimies existantes, la technologie à ions lithium, qui repose sur l’utilisation d’un métal léger et très électropositif (i.e. cédant facilement un électron), impose sa suprématie depuis les années 1990. Cette suprématie, qui se décline aujourd’hui sous de nombreuses variantes, provient de ses performances (250 Wh/kg ; 500 Wh/l) et de leurs évolutions prévisibles d’ici à 2025 (400 Wh/kg ; 800 Wh/l). Si la batterie au plomb a dominé les XIXe et XXe siècles, la batterie lithium-ion va dominer le XXIe siècle, et même encore le XXIIe siècle. Une des spécificités de cette technologie réside dans la structure des électrodes la constituant. En effet, celles-ci sont constituées de matériaux dans lesquels les ions lithium peuvent s’insérer et se désinsérer lors des cycles de charge et de décharge, sans rupture de leurs charpentes structurales. On parle ainsi d’éponges à lithium. C’est un processus beaucoup plus « doux » chimiquement que dans une batterie au plomb, où les liaisons chimiques du matériau d’électrodes se cassent et se reforment à chaque cycle.

Pour les prochaines décennies, aucune technologie disruptive ne semble prête à surpasser les performances de la batterie lithium-ion, pas même la batterie sodium-ion que j’ai contribué à développer comme une possible alternative, bien qu’elle soit dérivée du lithium-ion en termes de chimie, plus respectueuse pour l’environnement et potentiellement moins coûteuse. Contrairement au lithium, le sodium peut être extrait en grosses quantités de l’eau de mer et de la croûte terrestre. Étant proche chimiquement du lithium, il permet d’utiliser les mêmes familles de matériaux avec seulement quelques variations de structure. Seul l’électrolyte change, mais nous venons d’en trouver un nouveau, récemment breveté, très prometteur pour des utilisations sur un vaste domaine de température (_20°C, + 55°C). Les premières performances sont très encourageantes : une densité d’énergie de 100 Wh/kg, une durée de vie de plus de 3000 cycles et de très bonnes performances en puissance. Cette densité d’énergie est  inférieure au Li-ion pour les simples raisons que l’ion sodium est trois fois plus lourd que l’ion lithium tout en étant moins électropositif. On ne la trouvera donc jamais dans les portables et peu dans le véhicule électrique, hormis pour des besoins de puissance et non d’autonomie. En revanche, elle a un bel avenir pour des applications où le volume n’a pas d’importance, tel que le stockage de masse des énergies renouvelables, pour lesquelles elle serait moins coûteuse.

La technologie à lithium-ion est perfectible, notamment au niveau de sa vitesse de charge, de sa durée de vie et de sa sécurité, mais pour des technologies telles que le véhicule électrique, elle est la seule solution technique qui présente aujourd’hui les performances satisfaisantes. Cependant, elle devra fournir une énergie fiable et sûre à moindre coût, tout en réduisant notre dépendance aux matières premières critiques, telles que le lithium ou le cobalt (présent dans les électrodes et dont l’extraction en République démocratique du Congo pose des problèmes éthiques), et en adoptant des chaînes de valeur durables et éthiques allant de l’exploitation minière au recyclage. Il est déjà possible de récupérer et de recycler le lithium, la technique existe, mais elle soulève encore des questions économiques. A mon sens, le recyclage du lithium est un des marchés futurs : il y a autant de potentiel économique dans le recyclage des batteries que dans leur assemblage. Par exemple, il est déjà meilleur marché aujourd’hui de recycler le cobalt que de l’extraire.

Il faut aussi mentionner le concept de seconde vie des batteries. On peut imaginer une utilisation de ces dernières pendant leurs premières années pour les voitures électriques et, par la suite, quand leurs performances diminuent, pour le stockage d’énergie renouvelable. Tesla, Renault et d’autres acteurs misent sur ce concept. Cela implique une approche systémique innovatrice visant à injecter de l’intelligence dans la batterie afin de suivre son état de santé en continu. Cette surveillance nous permettrait d’augmenter sa fiabilité, de doubler sa durée de vie, d’abaisser son coût par kilowattheure stocké et enfin de diminuer considérablement son empreinte environnementale.

Enfin, ces nombreux défis sont liés à de nombreuses opportunités d’innovations. Ces innovations devront se situer au niveau de la gestion thermique de la batterie pour assurer une meilleure durabilité du système mais aussi faciliter un temps de recharge inférieur à 10 minutes. Il est de plus essentiel d’assurer une meilleure fiabilité des batteries à travers le développement de  systèmes de surveillance. Des méthodes de détection non-invasives devront ainsi être développées afin d’établir l’état de santé des batteries, comme pour l’être humain, avec de plus la mise au point de stratégies adéquates d’autoréparations pour remédier aux éventuelles défaillances détectées. Il s’agit là d’une problématique classique dans le domaine du diagnostic médical (capteurs, fibres optiques, puces implantées dans le corps humain), avec la vectorisation de médicaments pour la guérison, mais qui n’existe pas aujourd’hui dans le  domaine des batteries. Ainsi, les batteries de demain ne seraient plus une boîte noire, mais possèderaient, au-delà des électrodes positive et négative, une sortie analytique pour l’émission et la réception de données. Ces informations locales au sein de l’accumulateur, recueillies en temps réel, seraient une rupture dans la gestion des batteries. Avec l’arrivée des véhicules autonomes et connectés, cela générera des quantités de données colossales qui nécessiteront une expertise dans le domaine de l’intelligence artificielle pour être subtilement exploitées. La recherche sur les batteries est à un tournant. Dominée jusqu’ici par l’aspect matériau, elle se tourne désormais, pour des problèmes de durabilité des dispositifs, vers l’électrochimie afin de mieux comprendre les mécanismes de transfert de charges et de transport de matière aux interfaces ; ces dernières étant le cauchemar de tout chercheur dans le domaine. Les évolutions de rupture, mentionnées ci-dessus, offrent des myriades d’opportunités propices à l’innovation. Il sera cependant essentiel pour relever ce défi de la batterie intelligente de favoriser les approches pluridisciplinaires reposant sur des expertises variées dans le domaine des capteurs, de l’électronique, de la vectorisation, de l’assemblage de batteries ou encore du big data. En résumé, c’est une chance inouïe de travailler sur des problèmes scientifiques fondamentaux émanant de défis technologiques à enjeux sociétaux. Bien que le temps qui nous est alloué ne soit pas infini, il est important de donner à la recherche toute sa liberté. Poursuivre de tels objectifs avec des jeunes chercheurs curieux, passionnés et talentueux, est très rafraichissant.

Pr Jean-Marie Tarascon
Chaire Chimie du solide et de l’énergie