En 2023, l’enseignement de Denis Duboule a porté sur la question complexe et passionnante du développement de l’embryon. Dans son cours à venir, « la Fabrique des embryons », le Professeur aborde la révolution expérimentale qui permet désormais aux chercheurs de concevoir des embryons in vitro pour mieux comprendre notre origine et les causes des stérilités humaines. Défi scientifique et médical, ces avancées autour de l’embryon posent aussi la question de l’information du public sur leurs enjeux éthiques, préoccupations très présentes au sein de la communauté scientifique et des laboratoires impliqués dans ces expériences. Décryptage avec Denis Duboule.

La compréhension de notre origine personnelle, de notre développement embryonnaire, a fasciné des générations de scientifiques et de philosophes. Cette question essentielle a trouvé des débuts de réponses à l’aube du 20ème siècle avec l’émergence à la fois d’une approche expérimentale de l’embryon, qui deviendra peu à peu la biologie du développement, et de la génétique. Ces deux disciplines ont largement contribué à nos connaissances actuelles des mécanismes mis en jeu par un œuf fertilisé, cellule unique, pour donner un embryon fonctionnel avec ses milliards de cellules spécialisées. Toutefois, certains animaux se sont mieux prêtés que d’autres à ces analyses et presque l’intégralité de ces connaissances provient d’espèces plus ou moins éloignées des mammifères, telles que les mouches Drosophiles ou les grenouilles, chez qui les embryons se développent rapidement et dans un milieu extérieur, de façon visible et accessible. Or si nous savons aujourd’hui que les principes fondamentaux de l’embryologie sont conservés chez tous les animaux, des différences importantes de mise en œuvre existent entre des espèces même proches les unes des autres.

Chez les mammifères dont nous faisons partie, la question se complique car l’embryon s’implante dans l’utérus et devient donc rapidement inaccessible aux chercheurs, et ceci précisément au moment où certains évènements cruciaux vont se dérouler. C’est en effet pendant cette période post-implantation que l’embryon va s’organiser dans l’espace, acquérir ses axes principaux, sa tête, ses membres, et la bonne position de ses futurs organes. Par conséquent, la plupart des connaissances actuelles sur cette phase critique de notre embryogenèse provient de l’étude de la souris de laboratoire, un système expérimental de choix déjà utilisé au milieu du 19ème siècle par le moine Gregor Mendel, avant qu’il ne se concentre sur les plantes et le croisement des pois. Toutefois, à plusieurs égards, l’embryon humain présente des différences remarquables avec celui des rongeurs, d’où la nécessité de pouvoir l’étudier directement, en particulier, à ces stades délicats, une entreprise impossible il y a encore quelques années.

Aujourd’hui, des systèmes alternatifs ont vu le jour qui ouvrent de nouvelles perspectives. En particulier il est maintenant possible de produire des pseudo-embryons en culture grâce à l’utilisation de cellules souches embryonnaires, ne faisant pas appel à l’obtention de vrais embryons. Ces cellules humaines qui, à l’origine, dérivent soit d’un embryon surnuméraire issu d’une FIV (cellules ES) ou de tout autre type cellulaire obtenu par biopsie et après induction d’une reprogrammation génétique (cellules iPS), sont disponibles et plusieurs protocoles expérimentaux dans lesquels ces cellules souches, avant ou après différenciation, sont agrégées ensemble, permettent de produire des structures biologiques ressemblant parfois à s’y méprendre à des embryons à divers stades du développement précoce. Différents types de mélanges de cellules et de protocoles de culture peuvent alors donner des pseudo-embryons de natures variées, présentant certaines des caractéristiques spécifiques d’embryons authentiques. Toutefois, aucun d’entre eux ne possède l’ensemble des types cellulaires et des fonctionnalités constitutifs de vrais embryons humains.

Grâce à l’amélioration spectaculaire des systèmes et des conditions de croissance d’embryons en bouteilles, ces pseudo-embryons peuvent être cultivés in vitro permettant le développement embryonnaire ex-utero de continuer jusqu’à des limites jamais atteintes auparavant. D’un point de vue fondamental, cela démontre la capacité extraordinaire de cellules souches embryonnaires collées ensemble à s’autoorganiser dans le temps et dans l’espace pour produire une structure cohérente, de laquelle des tissus embryonnaires fonctionnels vont émerger au bon moment et au bon endroit. Comment et sous quelle forme cette propriété inattendue est-elle codée dans l’ADN de ces cellules ? Comment les cellules se parlent-elles et s’organisent-elles en société ? Ces questions, qui restent pour l’instant sans réponse, font actuellement l’objet d’approches expérimentales qui sans nul doute conduiront à des découvertes remarquables dans les années à venir.

« La reproduction des humains est un processus peu fiable, beaucoup moins performant que dans d’autres espèces de mammifères. »

Outre ces connaissances essentielles en recherche fondamentale sur notre origine embryonnaire, ces nouveaux types de pseudo-embryons devraient à l’avenir permettre de comprendre les causes multiples des très nombreuses stérilités constatées chez les humains. En 2021 en effet, 10 pourcent des couples en France étaient en échec de procréation et près de 4 pourcent des 750 000 enfants nés cette année-là le furent grâce à l’une ou l’autre technique de procréation assistée. Dans ce dernier cas, toutefois, cela ne représente que 20% des tentatives effectuées en officine. Ces chiffres montrent bien à quel point la reproduction des humains est un processus peu fiable, beaucoup moins performant que dans d’autres espèces de mammifères. Quelles sont les causes de ces fragilités ? Y a-t-il une raison évolutive pour laquelle cet état de fait aurait pu être sélectionné chez Homo sapiens ? Le fait de pouvoir disposer de ces pseudo-embryons humains à ces stades de développement et en quantité suffisante devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes en jeux lors de la formation de l’embryon précoce et de son implantation dans la muqueuse utérine, et ainsi d’en déduire certaines des raisons soit intrinsèques (dues à l’embryon lui-même), soit extrinsèques (dues à l’environnement utérin et hormonal), conduisant à ce taux d’échec élevé.

Ces développements récents bouleversent quelque peu notre regard sur l’embryon humain, le transformant de facto en possible objet d’expérience. Cela oblige à replacer ces approches dans un cadre éthique et légal acceptable, une préoccupation très présente au sein même de la communauté scientifique et des laboratoires impliqués dans ces expériences. Car même si ces pseudo-embryons rappelons-le clairement, ne sont pas d’authentiques embryons humains dans le sens où ils ne sont pas capables de s’implanter et, par conséquent ne pourraient pas se développer à terme, ils n’en restent pas moins des entités biologiques dérivées de cellules humaines, avec parfois des cellules cardiaques fonctionnelles et même des structures ressemblant à des parties de notre cerveau. Une réflexion multidisciplinaire est donc nécessaire afin de fixer les limites à ne pas dépasser, limites qui d’ailleurs sont pour certaines d’entre elles déjà établies par le cadre légal actuel. Par exemple, ces pseudo-embryons ne peuvent pas être cultivés plus longtemps qu’un certain nombre de jours, au-delà duquel ils doivent être détruits. Aussi, les buts et les connaissances à atteindre par ces recherches doivent être clairement exposés et le fait d’essayer de produire des embryons humains à partir de cellules souches comme une alternative future aux outils actuels de la procréation médicalement assistée ne devrait pas faire partie des justificatifs acceptables.

Cette réflexion est d’autant plus nécessaire qu’il n’est pas exclu que l’amélioration des conditions de production et de culture permettent à l’avenir à ces pseudo-embryons de s’approcher inéluctablement du statut d’embryons à part entière, ce qui poserait alors d’autres questions fondamentales tant éthiques et philosophiques que sociétales, sur leur utilisation. A la source de ce questionnement se trouvent à la fois les définitions même d’un embryon et de son statut, et l’impact sur ces définitions de la façon dont cet embryon serait produit et porté, biologiquement parlant. Il y a plus de quarante ans, la naissance de Louise Brown par fécondation in vitro avait posé la première pierre de cette réflexion, nous arrivons sans doute maintenant à l’étape suivante, qui promet d’être passionnante pour autant qu’elle se déroule dans un climat serein d’échanges multidisciplinaires et constructifs.

Pr Denis Duboule
Chaire Evolution du Développement et des Génomes
Centre Interdisciplinaire de Recherches en Biologie (CIRB)

 

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>> Cycle de cours : « La fabrique des embryons » : 14 mai – 4 juin 2024
>> Colloque interdisciplinaire « Fabriquer et cultiver des embryons in vitro : un état des lieux » : 7 juin 2024

La Fondation du Collège de France a apporté son soutien à l’installation et à l’équipement des laboratoires de la chaire Evolution du développement et des génomes.