Comment mieux comprendre la diversité humaine ? Comment notre espèce s’est-elle adaptée à son environnement ? Quel est le rôle du génome dans les fonctions immunitaires et de défense contre les agents infectieux ? 20 ans après le premier séquençage du génome humain, l’étude de la manière dont nos gènes s’expriment ou pas, selon notre environnement et notre héritage démographique ou culturel, ouvre de nouveaux champs de recherches et d’interrogations. Nommé en 2019 sur la chaire Génomique humaine et évolution, le Pr Lluis Quintana-Murci se consacre à l’étude de la diversité du génome humain, tant d’un point de vue fondamental qu’appliqué, notamment en médecine où elle participe à la compréhension du système immunitaire des individus et de certaines pathologies.

Le Pr Quintana-Murci a prononcé sa leçon inaugurale le 6 février 2020 à retrouver ici.
Retrouvez également la première partie de son premier cycle d’enseignement intitulé « Évolution humaine et génétique des populations ».

Divers facteurs contribuent à façonner la diversité du génome humain : les facteurs génomiques, l’histoire démographique et culturelle des populations, et la sélection naturelle. Dans ce contexte, la caractérisation de la diversité génétique de populations humaines révèle d’importantes informations sur les origines de notre espèce, Homo sapiens. Presque 20 ans après le séquençage du génome humain, un déluge de données génomiques sur des populations de différentes origines géographiques et ethniques à travers le monde permet de dresser un portrait de la diversité génétique humaine à un niveau de résolution sans précédent. Ces données génomiques nous permettent de mieux comprendre l’histoire démographique (changements de taille de populations et migrations) et l’histoire adaptative (adaptation à l’environnement) de notre espèce, y compris le métissage avec les homininés archaïques tels que Néandertal ou le rôle de la sélection naturelle sur l’évolution du génome.

Nous savons aujourd’hui que les populations africaines sont celles qui possèdent le niveau de diversité génétique le plus élevé de la planète, la diversité des populations non-africaines constituant simplement un sous-ensemble de celle observée en Afrique. Cette observation a permis de conclure que nos origines, celles de l’espèce Homo sapiens, sont africaines et récentes, remontant à environ 200 000 – 300 000 ans. Le fait que la diversité génétique des populations diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Afrique témoigne des divers goulets d’étranglement et d’effets fondateurs à l’origine d’une perte continue de diversité génétique au cours des migrations de populations humaines. Les études génomiques permettent également de quantifier des évènements de métissage de populations, et ainsi de mieux comprendre l’histoire et l’intensité de tels métissages.

Lors de leurs migrations à travers le globe, les humains ont été confrontés à des conditions climatiques, nutritionnelles et pathogènes très diverses auxquelles ils ont dû s’adapter. Au cours de ces dernières années, l’étude de l’étendue de la sélection sur le génome humain s’est avérée cruciale dans l’identification des gènes responsables de la diversité phénotypique des populations — qu’elle soit bénigne ou associée à certaines maladies. D’une part, des études récentes ont mis en lumière la manière dont l’histoire des populations pourrait altérer le mode par lequel la sélection élimine les variantes délétères, c’est-à-dire l’efficacité de la sélection purificatrice. D’autres études ont permis, d’autre part, d’identifier des gènes impliqués dans l’adaptation génétique de l’homme à son environnement. Parmi les cas emblématiques d’adaptation génétique figurent les gènes jouant sur le métabolisme et l’adaptation aux ressources nutritionnelles (comme le lait), les gènes liés aux variations de pigmentation de la peau et à l’adaptation à différents types d’habitats (de la forêt équatoriale à la vie en altitude) ainsi que les gènes impliqués dans la réponse immunitaire et la résistance aux maladies infectieuses.

Grace aux études de l’ADN fossile, nous savons aujourd’hui que notre espèce est le produit d’un métissage avec d’autres formes humaines également présentes en Eurasie il y a 30 000 à 50 000 ans, les Néandertaliens et les Dénisoviens. L’héritage de ce métissage s’observe aujourd’hui sur les génomes des populations humaines modernes : de l’ADN d’origine néandertalien est observé pour environ 2-3 % du génome des Eurasiens et de l’ADN dénisovien, qui se retrouve surtout chez les Australo-Mélanésiens, peut constituer jusqu’à 6 % de leur patrimoine génétique. Fait très intéressant : notre espèce semble avoir acquis des mutations avantageuses via ce métissage avec d’anciens hominidés, notamment des mutations associées à un certain nombre de phénotypes neurologiques, dermatologiques et immunologiques. En outre, les études de génétique de populations montrent d’une façon unanime que les fonctions immunitaires et de défense contre les agents infectieux sont parmi celles le plus fréquemment sujettes à la sélection naturelle. Il apparaît de plus en plus clairement que les Néandertaliens et les Dénisoviens auraient transmis aux ancêtres des Eurasiens des mutations d’importance pour le contrôle de la réponse immunitaire, notamment des mutations bénéfiques modulant la réponse aux infections virales.

En conclusion, les études en génomique humaine et évolution ont fait avancer notre compréhension de la façon dont les hommes ont migré au travers du globe à différentes époques, depuis les premières dispersions des hommes modernes suite à l’exode hors de l’Afrique il y a environ 60 000 ans jusqu’aux migrations historiques malheureuses et forcées comme la traite transatlantique des esclaves au cours des 400 dernières années. Les études génomiques ont également apporté un nouvel éclairage sur l’adaptation génétique des humains face aux pressions environnementales et aux changements de mode de vie avec le temps. Nous avons néanmoins beaucoup encore à apprendre en intégrant les données issues d’études de génétique évolutive, de l’épigénétique et de génétique épidémiologique dans des populations aux modes de vie différents (agriculteurs, chasseurs-cueilleurs, sédentaires, nomades) ou vivant dans des environnements différents (urbain, rural, forestier). Ces efforts multidisciplinaires sont nécessaires pour éclaircir le lien entre histoire migratoire, sélection naturelle, facteurs culturels et maladie et pour mieux comprendre les mécanismes à la base des différences actuelles en matière de susceptibilité, résistance ou progression des maladies observées entre les différentes populations humaines à travers le monde.

Enfin, la recherche et l’enseignement en génomique humaine et évolution a des conséquences éducatives et sociétales importantes, dès lors que l’on s’intéresse aux différences génétiques et/ou culturelles entre individus et populations. Expliquer nos similitudes mais aussi nos différences, sans les nier ni les lisser, c’est la seule façon de les faire accepter…

Pr Lluis Quintana-Murci
Chaire Génomique humaine et évolution
Membre de l’Académie des Sciences

 

En avril 2020, le Pr Lluis Quintana-Murci a rejoint le COVID Human Genetic Effort, consortium international vise à découvrir les implications des variations du génome humain à l’origine des formes rares de Covid-19 chez des individus en bonne santé ou, à l’inverse, de la résistance de certains individus à l’infection, malgré une exposition répétée.