Ce texte est tiré de l’article « Sortie de confinement, ou la somme de tous les dangers » du Pr Philippe Sansonetti paru le mardi 14 avril 2020 dans la Vie des Idées.

La stratégie initiale visant à étaler la période de progression de l’épidémie de Covid-19 et préserver les systèmes de santé, a reposé sur la mise en place d’une distanciation sociale. Fondée sur le respect des gestes barrières et sur une hygiène stricte, elle s’est avérée insuffisante. Deux marqueurs en témoignaient dès la seconde semaine de mars : l’augmentation exponentielle des cas de Covid-19 et la menace de saturation des capacités de réanimation. Tous les éléments étaient réunis pour que le scénario « à l’italienne » se reproduise en France. Se présentaient alors deux solutions : le pari sur l’immunité de groupe ou la distanciation sociale.

Les deux méthodes pour endiguer une épidémie

1/ La première consiste à ne rien changer et attendre que la prévalence de l’infection dans la population mène à une immunité de groupe empêchant le virus de circuler faute de cibles. Le taux de reproduction de base (R0) de Covid-19 étant de 2,5, le pourcentage de population infectée nécessaire pour obtenir cette immunité de groupe et ramener le R0 au-dessous du seuil épidémique (R0<1) est de 60 %, sous réserve que la maladie génère une solide immunité protectrice, ce qui n’est pas encore démontré pour ce virus très performant pour neutraliser les réponses immunitaires cellulaires. Cette option n’était pas tenable, compte tenu du nombre de malades graves générés par l’épidémie dans un court espace de temps. Il s’avérait en parallèle que le virus était très contagieux, en particulier via de nombreux sujets asymptomatiques, pauci-symptomatiques, ou en début de maladie. Le nombre réel de sujets infectés était déjà à ce moment très supérieur au nombre de cas confirmés correspondant quasi exclusivement aux malades hospitalisés. En un mot, on était aveugle, faute de données épidémiologiques du réel taux d’attaque de la maladie. L’histoire des épidémies nous apprend à quel point l’identification exhaustive des patients, y compris les porteurs sains, est importante pour contrôler efficacement la diffusion du pathogène.

Au tournant du XXe siècle, l’Europe et les États-Unis furent régulièrement frappés d’épidémies de fièvre typhoïde qui, en milieu urbain, pouvaient prendre une ampleur dramatique. Robert Koch identifia que l’origine, souvent mystérieuse, de ces épidémies était l’existence de porteurs chroniques asymptomatiques du bacille typhique. Avec ses élèves, il établit une approche de diagnostic à grande échelle, y compris de dépistage des porteurs asymptomatiques, avec mise en quarantaine de tout sujet présentant une coproculture positive. Cette approche était si bien rodée et efficace, au prix d’un travail intensif d’agents sanitaires et de laboratoires de diagnostic, qu’avant sa mort en 1911, Robert Koch doutait ouvertement de la nécessité de vacciner contre cette maladie…

100 ans plus tard, sans capacité de diagnostic suffisante, nous avons été réduits à une extrapolation du nombre de cas et de porteurs. Prenant une base minimale de 10 fois le nombre d’hospitalisations, on pouvait facilement conclure qu’avec 10% de formes graves, les capacités hospitalières seraient submergées en quelques jours. Il y avait un précédent : lors de la pandémie de grippe asiatique de 1957, au Royaume Uni, le National Health Service débordé avait sombré pendant 10 jours devant la marée de patients sévèrement atteints et l’amputation massive de son personnel, lui-même malade. Plus près de nous, en 2002-2003, l’épidémie de SRAS a montré à quel point le personnel médical était exposé et infecté. Pire, il devenait lui-même source de contamination. Une leçon aurait dû être tirée de ces épisodes dramatiques : la première cible d’une épidémie est le personnel médical, d’où la nécessité de maintenir des stocks suffisants de matériel de protection.

2/ La situation dans le Grand-Est, où s’était créé un foyer virulent, a confirmé la crainte d’un dépassement du personnel de santé et de ses moyens thérapeutiques. Cela a conduit dès la mi-mars à la deuxième solution : le renforcement de la distanciation sociale avec la fermeture des écoles, des lieux publics et commerces « non essentiels », puis au confinement de la population, en toute conscience du risque économique et social de cette décision. L’observation de signes de ralentissement de l’épidémie ne survenant qu’après quatre semaines de confinement laisse à penser ce qu’aurait été l’ampleur de la catastrophe si l’on était resté aux mesures de distanciation sociale initiales.

La distanciation devra continuer après le déconfinement

Il est essentiel d’analyser les causes de l’échec de la distanciation sociale qui a amené au confinement en France, Italie, Espagne et Royaume-Uni, qui supportent actuellement l’essentiel du poids de la maladie en Europe, et de s’interroger sur la faible mortalité en Allemagne qui avait appliqué une approche similaire. En effet, la sortie de confinement ne pourra se concevoir autrement que par la reprise de la distanciation sociale au moment où les conditions seront réunies et en engageant tous les moyens de sa réussite.

Si la Chine a opté en une étape pour un confinement total, rigoureusement exécuté par un appareil étatico-politique fort, d’autres pays asiatiques comme Singapour, Taïwan et la Corée du Sud ont réussi une politique de contrôle de l’épidémie par une distanciation sociale précoce et bien suivie par les populations. Cette approche est marquée par des mesures d’hygiène individuelle intensive avec usage généralisé de masques, le confinement des sujets à risque, en particulier les personnes âgées, une large utilisation de tests pour identifier et isoler les malades et porteurs du virus, combinée à des enquêtes exploitant l’intelligence artificielle pour détecter les sujets contact et les mettre en quatorzaine. La Corée a ainsi réussi à contrôler l’épidémie, alors qu’elle subissait un foyer très virulent qui menaçait l’ensemble du pays. Ces pays ne sont bien sûr pas à l’abri de rebonds car ils n’ont vraisemblablement pas pu développer une immunité de groupe, comme en témoigne l’exemple de Singapour, qui a décidé un confinement total de sa population le 7 avril après un semblant de contrôle initial. Cela est très inquiétant et les échanges que j’ai avec mes collègues chinois traduisent aussi une profonde crainte d’un rebond.

De l’analyse objective de l’échec de la distanciation sociale en entrée de crise et de l’accumulation de données sur la maladie et le virus peut émerger un schéma pour sortir de la crise, en gardant à l’esprit que rien ne ressemblera à un retour à la normale tant que nous ne disposerons pas d’un vaccin. On peut plus précocement espérer qu’une combinaison de molécules antivirales repositionnées permettra de traiter les formes graves et de diminuer la charge virale des patients, donc de ralentir la circulation du virus, sans risquer la sélection de résistance que comporterait la monothérapie. Ceci pourrait faciliter un passage plus rapide sous le seuil épidémique. Sur le long terme, les médicaments ne remplaceront cependant pas un vaccin efficace, comme on le voit pour le SIDA, en particulier dans les pays à bas revenus où les coûts des molécules et la nécessité d’une administration prolongée ont un poids logistique et financier difficile à tenir.

Il est essentiel d’expliquer dès maintenant ces perspectives à nos concitoyens et les aider à comprendre que cette situation d’exception va durer. La fin du confinement ne sonnera pas la fin de l’épidémie ! Elle sera toujours présente, moins virulente que la vague que nous sommes en train de subir, mais ne demandant qu’à rebondir. Non seulement le déconfinement devra être progressif, sur des critères qu’il conviendra de définir rapidement, mais il devra s’accompagner du maintien des mesures de distanciation sociale, adaptées et améliorées. Notre pays ne tiendra pas face à un ou plusieurs rebonds qui nécessiteraient un nouveau confinement. C’est inimaginable, nous devons réussir notre déconfinement et n’avons que peu de temps pour le préparer. Son succès sera facteur de confiance de nos concitoyens dans les autorités politiques et sanitaires, mais aussi pour les grands organismes bancaires, qui prêtent encore à taux zéro à l’État français pour aider à la reconstruction de notre économie. Ils perdront vite patience si nous ne montrons pas une discipline et une intelligence collective exemplaires. Une fois encore, notre destin est entre nos mains…

Les raisons de l’échec de la stratégie initiale

Réfléchissons aux raisons possibles de l’échec de la stratégie initiale de distanciation sociale en France, puisque son efficacité sera la clé du succès de notre sortie de confinement.

1 – Nos concitoyens ne se sont pas sentis assez tôt concernés par le risque épidémique en dépit des images en provenance de Chine puis d’Italie. Ce fut en particulier le cas des adultes jeunes qui, devant l’idée initialement entretenue que n’était touchée que la population des plus de 65 ans, se sont moins motivés pour une stricte prévention. La « pandémie du siècle » annoncée en 2009 lors de l’émergence de la grippe A-H1N1 avait donné lieu à une mobilisation générale précoce, sans précédent, des services sanitaires nationaux et internationaux. Elle avait finalement déjoué les prévisions en s’avérant bénigne, créant un référentiel négatif démobilisant les esprits et entamant la confiance dans les autorités scientifiques, médicales et politiques qui, après tout, avaient rempli leur rôle.

2 – Nous avons manqué de moyens de diagnostic à la hauteur de l’ampleur et de la rapidité de progression de l’épidémie : nombre insuffisant de tests, complexité initiale des prélèvements et de la réalisation technique de ces tests. Par manque de capacité, nous n’avons pu développer une approche proactive de diagnostic élargi, particulièrement dans les zones les plus touchées, au moment clé où l’épidémie s’accélérait. Aveugles sur le nombre de cas réels, nous n’avons pu procéder à un large isolement de sujets contagieux et à une mise en « quatorzaine » de leurs contacts directs, voire à un confinement plus précoce. Ce qui a laissé se développer la transmission exponentielle d’un virus dont le R0 est supérieur à celui de la grippe saisonnière.

Les pays qui ont largement pratiqué ces tests, comme la Corée, Taiwan, Singapour et l’Allemagne présentent à ce jour un bilan plus favorable, particulièrement en nombre de décès. Certes il y a toujours beaucoup de facteurs confondants possibles, mais rappelons-nous l’exemple de Robert Koch et du contrôle des épidémies de fièvre typhoïde.

3 – Les mesures d’hygiène individuelles ont été insuffisantes, ce qu’illustre la non-disponibilité de masques. Face à cette pénurie, la communication visant à convaincre la population que ces masques, en nombre insuffisant, devaient être parcimonieusement utilisés et réservés aux personnels de santé était logique et louable. Mais devant la circulation active du virus et la connaissance de sa transmission par gouttelettes et aérosols, pourquoi avoir discrédité l’usage des masques dans la population générale et affirmé qu’ils étaient inutiles ou que les experts étaient à ce sujet divisés ? Pourquoi au contraire ne pas avoir invité dès le début la population à fabriquer, même imparfaits, des masques personnels ? Sans doute ces masques artisanaux sont-ils imparfaits, ils contribuent pourtant à responsabiliser plus encore nos concitoyens, sous réserve d’expliquer qu’ils sont complémentaires des autres mesures d’hygiène. Dans une épidémie tout est bon pour ralentir la circulation du pathogène, même si les dispositifs utilisés ne protègent pas à 99 %… C’est l’addition des mesures qui va ramener la circulation du virus sous le seuil épidémique.

Les conditions pour prononcer le déconfinement

Quand faudra-t-il sortir du confinement ? Le plus tôt serait bien sûr le mieux, la santé mentale de notre population et les chances de relance de notre économie en dépendent. Impossible d’attendre médicaments et vaccin. Mais ne confondons pas vitesse et précipitation.

Sommes-nous sortis du pic épidémique ? Non ! Même si l’on observe aujourd’hui quelques signaux positifs, comme la stabilisation du nombre de nouveaux patients hospitalisés et en réanimation, la situation reste incertaine car la tension sur les hôpitaux demeure extrême, en dépit de six semaines de confinement, alors que se fait sentir un véritable relâchement dans l’adhésion de certains.

Réunissons-nous à ce jour les éléments permettant de donner au déconfinement des chances maximales de succès ? Non ! Et il y a encore beaucoup à faire, alors que le temps nous est compté.

La date de déconfinement ne se décide pas comme celle des vacances scolaires mais sur des critères objectifs, sur des données montrant l’état, région par région, du statut de l’épidémie, donc sur la disponibilité des outils de diagnostic nécessaires à ces enquêtes. Elle se décide aussi sur la disponibilité des outils de protection individuelle de la population « libérée ». Tout ceci peut certes être modélisé, avec des scénarios optimistes et pessimistes, mais il faut aussi avoir le courage de dire qu’il persiste des zones d’ombre dans la biologie de l’interaction entre le SARS-CoV-2 et l’homme, qui rendent difficile les prédictions.

S’il est clair que les sujets infectés émettent une charge virale importante dès le début de leur maladie, à un stade asymptomatique ou pauci-symptomatique, les données sur la durée d’excrétion virale après guérison sont rares ou guère rassurantes. Les sujets guéris sont-ils protégés contre l’infection, qu’ils aient ou non développé ces fameux anticorps spécifiques neutralisants ? Les sujets demeurés asymptomatiques ou pauci-symptomatiques sont-ils protégés et pour combien de temps ? En effet le virus sera demeuré dans ce cas circonscrit à la muqueuse rhinopharyngée, ce qui peut donner lieu à une immunité locale, mais de quelle durée ? De quelle efficacité protectrice ? De quelle capacité à faire transition vers une immunité systémique globalement efficace ? L’immunité de groupe pour Covid-19 répond-elle aux équations habituelles ? La connaissance de ces éléments serait importante pour se projeter dans l’avenir et éviter le « pilotage à vue ». Ce virus est retors et nécessite donc aussi d’encourager et de financer une recherche clinique et fondamentale de haut niveau, visant à éclairer des zones obscures et néanmoins essentielles de cette maladie.

Tentons finalement de résumer les conditions dans lesquelles un déconfinement pourrait se faire en évitant au maximum un rebond local ou général de l’épidémie.

1 – Il pourra être envisagé sur une base régionale à condition que les données épidémiologiques indiquent que la vague épidémique est bien passée. Ces évaluations s’appuieront bien sûr sur les données des hôpitaux et des médecins de ville, confirmant une nette baisse de tension sur le système de santé. Elles devraient aussi pouvoir rapidement s’appuyer sur l’organisation d’études sérologiques très larges, méthodologiquement indiscutables, visant à évaluer, via la présence d’anticorps spécifiques, le pourcentage de la population ayant été infectée par le SARS-CoV-2. Par ailleurs, il semble difficile de ne pas aussi s’appuyer sur l’impact épidémiologique complémentaire procuré par une large pratique de tests q-RT-PCR, utilisés pour identifier les cas cliniques. Il conviendra aussi de s’interroger sur les conséquences d’un déconfinement total si y sont mêlées les populations présentant un haut risque de développer des formes graves comme les sujets au-dessus de 65 ans, immunodéprimés, diabétiques ou en surpoids important.

2 – Une fois décidée, la sortie de confinement doit s’accompagner d’un dépistage large de la présence du virus chez les sujets symptomatiques, pauci-symptomatiques ou asymptomatiques, pas seulement dans le secteur hospitalier et les EHPAD, mais dans la population générale. Cela devra se faire avec un effort particulier sur des populations, professions et zones à risque de manière à isoler les sujets positifs dans des conditions qui restent à déterminer et organiser, car le problème sera humainement et logistiquement très complexe, aussi complexe d’ailleurs que la mise en place de la réalisation de ces tests à grande échelle : conditions de prélèvement en masse, transport des échantillons, réalisation technique, retour de l’information et exécution de la décision d’isolement.

À cette approche sera naturellement associée la recherche des contacts de ces patients infectés. Le fameux « contact tracing » qui fait l’objet d’un débat compréhensible, car on y voit d’emblée une atteinte de nos libertés individuelles, déjà passablement entamées par les lois antiterroristes. Il faut au plus vite aborder ce débat et exposer les appuis à la détection et à la mise en « quatorzaine » des sujets en contacts étroits et/ou renouvelés avec les sujets positifs. L’intelligence artificielle peut se conjuguer avec les méthodes plus classiques pour assurer ce quadrillage épidémiologique indispensable pour éviter les rebonds après déconfinement. Il est clair que ce paradigme inédit, s’il est choisi, doit s’accompagner d’un encadrement légal et éthique incontournable, et doit être organisé et piloté par des personnalités de haute valeur morale et scientifique. Il doit aussi être accompagné par les citoyens, et non imposé, grâce à une pédagogie transparente et à l’incitation à leur participation active. Le confinement est vital mais crée une situation où les seuls horizons du citoyen deviennent l’hôpital, la queue des supermarchés ou la police contrôlant les autorisations dérogatoires… Nos concitoyens doivent pouvoir sortir de cette perspective étroite et se préparer à jouer un rôle actif lorsque le confinement sera levé. Cette « troisième ligne » devrait dès maintenant être mobilisée en préparation de la phase de déconfinement où des citoyens volontaires et formés pourraient prendre dans les immeubles, dans les quartiers, dans les zones pavillonnaires, dans les transports, des responsabilités organisationnelles du déconfinement que l’on ne pourra pas faire porter uniquement aux représentants de l’autorité sanitaire et de la police.

Et si Covid-19 nous aidait à retrouver les fondements de notre démocratie et de notre esprit républicain ? Charles Nicolle écrivait que « les maladies infectieuses apprennent aux hommes qu’ils sont frères et solidaires ». Après la « réserve sanitaire » au sens le plus large qui a fait merveille, il faut une place pour la « réserve citoyenne ». N’oublions cependant pas une autre réserve, la « réserve scientifique ». Hors la minorité travaillant déjà sur Covid-19, des milliers de scientifiques capables de concevoir, d’innover, de réaliser des tests sophistiqués « piaffent » de ne pouvoir participer au combat. Ils/elles sont souvent inscrits sur des listes de volontaires et ont montré quand nécessaire une générosité exceptionnelle. Certains/certaines, bravant le danger, avait mis leurs projets de recherche, leur travail de thèse, entre parenthèse pour partir en Guinée en 2015 comme volontaires pour soutenir le laboratoire que l’Institut Pasteur avait monté face à l’épidémie d’Ebola. Sur le front italien du Covid-19, plusieurs de nos collègues ont très tôt reconverti leurs laboratoires en centres de diagnostic. Il faut trouver une place aux scientifiques dans le dispositif. Si « nous sommes en guerre », alors « faisons la guerre », oublions un peu les barrières administratives, les régulations et autres certifications, engageons la « réserve scientifique ».

3 – Une fois décidée, la sortie de confinement devra s’accompagner d’un maintien rigoureux des mesures de distanciation sociale et d’hygiène individuelle et collective, incluant le port de masques, « professionnels » selon disponibilité ou « artisanaux ». Impossible de déconfiner tant que les pharmacies seront en rupture chronique de stocks de masques et de gels hydro-alcooliques. Comme proposé, la « réserve citoyenne » pourrait jouer dans ce contexte pour informer, aider, accompagner, dans la rue, dans des lieux se prêtant aux regroupements, dans les transports en commun qui risquent d’être un lieu de recrudescence de la contamination lorsque reprendront les activités professionnelles.

4 – Les transports interrégionaux devront rester limités, sauf exceptions à définir, aux nécessités professionnelles.

5 – Les rassemblements devront rester interdits avec certaines exceptions, mais sous des formes très limitées comme les enterrements. Les entreprises devront aussi soigneusement organiser la distanciation sociale. Pour ce qui concerne les métiers d’accueil, les commerces, la restauration, l’hôtellerie, qui sont un pan important de notre vie économique et sociale, il est urgent de réfléchir à des solutions, sans-doute contraignantes, mais vitales. Certaines ont été expérimentées dans les commerces de première nécessité. Pour les spectacles et l’école, projetons-nous dès maintenant vers la rentrée de septembre.

Conclusion provisoire

Ce n’est que lorsque l’on commencera à disposer d’une vraie cartographie de l’évolution de l’épidémie, suite au déconfinement, lorsque le R0 se sera stablement établi au-dessous de 1, c’est-à-dire sous le seuil épidémique, indiquant l’absence de tendance au rebond, que l’on pourra commencer à relâcher prudemment, rationnellement, progressivement la pression des mesures ci-dessus, car il faudra bien entendu accompagner le redémarrage de la vie et de l’économie afin d’éviter que le traitement fasse plus de mal que la maladie.

Combien de temps ? Il faut avoir l’humilité de dire qu’une partie du « génie évolutif » de la maladie nous échappe encore et que le SARS-CoV-2 peut à tout instant muter et modifier son comportement, dans un bon ou mauvais sens. Des modèles indiquent même que le confinement actuel pourrait ne faire que pousser l’épidémie à rebondir après l’été… Mais ce délai dépendra d’abord de l’adhésion citoyenne aux mesures prises. Pour s’avancer, disons au mieux dans le courant de l’été – sauf si un traitement efficace intervenait rapidement, ce que les essais cliniques en cours vont nous dire dans les semaines qui viennent. Sa large disponibilité permettrait d’atténuer ce qui fait le spectre de cette maladie, à savoir ses formes graves voire mortelles, et de diminuer la charge virale en circulation, donnant un coup de pouce significatif et possiblement définitif à la stabilisation du R0 sous le seuil épidémique.

Quoi qu’il advienne, les mesures de distanciation sociale et d’hygiène renforcée devront être maintenues tant que nous ne disposerons pas d’un vaccin, c’est-à-dire pas avant plusieurs mois, sans doute une année. Nous nous y habituerons, l’espèce humaine est résiliente.

Pr Philippe Sansonetti
Chaire de Microbiologie et maladies infectieuses