Cet été comme à chaque Olympiade, notre pays s’est passionné pour le décompte des médailles obtenues par nos sportifs. Allions-nous atteindre la 6ème place du classement mondial comme en 2000, descendre à la 10ème comme en 2008 ? Finalement, la France termine à la 8ème place et comme après chaque JO, les succès sont fêtés et les échecs analysés en détail par les médias et le public.

Il existe d’autres statistiques tout aussi importantes mais beaucoup moins commentées, qui arrivent avec une régularité équivalente et un bilan peu glorieux. Je veux parler des enquêtes internationales TIMSS qui évaluent les compétences des jeunes élèves en mathématiques et en sciences. Prenons l’exemple de la classe de CM1, une des deux classes testées par TIMMS : en 2019, notre pays est arrivé bon dernier de l’Union européenne, bien au-delà de la 40ème position mondiale, et des évaluations fortement dégradées par rapport à celles des années 90.

De nombreux acteurs du monde de l’éducation, plus légitimes que moi, se sont penchés sur cette non-performance et en ont avancé de multiples causes : volumes horaires trop faibles pour ces disciplines, formation insuffisante des enseignants, programmes mal adaptés ou renouvelés trop fréquemment, manque d’équipement des écoles, etc.

Au-delà des changements structurels indispensables si l’on souhaite freiner cette dégringolade, je voudrais insister ici sur l’importance de donner le goût des sciences aux jeunes élèves. D’ailleurs, plutôt que le verbe “donner”, je devrais utiliser “conserver”. L’enfant qui découvre le monde a une approche scientifique ; sur la plage par exemple, il observe les animaux dans une flaque d’eau, il construit un château de sable en le rendant le plus robuste possible, il ramasse, compte et classe des coquillages.

Pourquoi cet appétit pour la découverte de notre monde s’atténue-t-il? Pourquoi des élèves curieux, inventifs, décident-ils un jour que la science n’est pas pour elles ou pour eux ? Les principaux qualificatifs qui reviennent dans la bouche de collégiens ou lycéens que j’ai pu côtoyer ne sont pas tendres pour la science : trop de rigueur requise pour cette discipline et trop d’implication dans les « malheurs du monde ».

Il n’est pas question de nier la nécessité de rigueur dans la démarche scientifique, mais il faut au contraire faire comprendre à ces jeunes que ce reproche est justement notre fierté à nous autres scientifiques, et que nous voulons partager cette fierté avec eux. Cette rigueur consiste à ne pas tricher avec les faits : quand notre modèle ne rend pas compte des observations, c’est le modèle que nous jetons, même si sa construction nous avait pris beaucoup de temps. Cette rigueur, c’est aussi savoir dire “je ne sais pas”. La science infuse n’existe pas et la crise sanitaire est venue nous rappeler sans ménagement combien la progression des connaissances est affaire de tâtonnements, d’essais, d’incertitudes avant d’arriver à une conclusion qui fait sens.

Quant à l’implication dans les malheurs du monde, des physiciens ou des chimistes doivent bien sûr s’interroger sur les catastrophes de Tchernobyl ou de Seveso, sans parler des horreurs comme Hiroshima. Mais il faut attaquer le problème de front, faire un bilan des espoirs attendus et des risques encourus, civils ou militaires, pour les nouveaux développements technologiques. Peut-on éliminer “les malheurs du monde” en renonçant d’emblée à toute culture scientifique ? Il semble au contraire important d’acquérir un certain bagage pour pouvoir ensuite, en toute connaissance de cause, faire des choix citoyens : énergie (pour ou contre le nucléaire), environnement (pour ou contre les OGM ou la 5G), santé (pour ou contre les vaccins), la liste est longue…

Il me paraît tout aussi important de ne pas motiver l’apprentissage des sciences uniquement par leur utilité immédiate. La science est avant tout une aventure intellectuelle et on n’a pas besoin d’alibi pour participer une telle aventure. Je ne défends pas ici l’image du scientifique dans sa tour d’ivoire : la plupart des découvertes scientifiques ont des retombées directes ou indirectes sur la société, certaines peuvent conduire à des révolutions technologiques qu’un scientifique ne peut ignorer. Mais pour l’essentiel, ces retombées ne peuvent être prédites ; ce n’est pas en cherchant à améliorer le scalpel du chirurgien qu’on a inventé le laser. Il faut que nos élèves retrouvent le plaisir de la découverte et de la compréhension des phénomènes de la nature, comme lorsqu’ils faisaient leurs premiers pas sur une plage.

Les développements des sciences ont amené notre société en un point critique, où l’on ne peut pas décider d’un trait de plume l’arrêt de toute technologie. Les enjeux en termes d’environnement, de ressources énergétiques, de santé publique, sont tels que la science doit rester une activité humaine essentielle. Nous avons besoin pour cela de former tous nos jeunes élèves à cette activité, y compris la très grande majorité d’entre eux qui n’en feront pas ensuite leur métier. Rendez-vous en 2023 pour la prochaine enquête TIMMS…

Pr Jean Dalibard
Chaire Atomes et rayonnement
Médaille d’or du CNRS 2021

 

Image : Frédérique PLAS/LKB/CNRS-Photothèque