La Fondation du Collège de France vous propose ce mois-ci d’aller à la rencontre du physicien Alexeï Ourjoumtsev, chercheur en photonique quantique au sein des Jeunes Equipes de Physique du Collège de France. Depuis 2014, L’Institut de Physique du Collège de France a mis en place une Unité de Service et de Recherche qui vise à constituer, en parallèle des chaires, un incubateur pour des équipes de jeunes chercheurs. La Fondation du Collège de France a apporté son soutien à l’installation des deux premières équipes de ce programme inédit, dont celle d’Alexei Ourjoumtsev.

Quelles ont été les motivations qui vous ont poussé à faire de la recherche ?

Comme beaucoup de mes collègues, c’est en partie la curiosité et l’envie de comprendre comment les choses fonctionnent qui m’ont donné l’envie de m’engager dans la recherche, mais ce n’est pas la seule raison. Pendant longtemps, j’ai envisagé la mécanique car j’avais envie de faire un travail manuel, comme mes grands-parents. Plutôt bon élève, mes parents m’ont encouragé à suivre une filière générale scientifique. À ma sortie de l’École normale supérieure, je me suis spécialisé en optique quantique expérimentale. Ce métier me convient parfaitement car il est assez exigeant sur le plan intellectuel tout en conservant une part de travaux manuels car c’est à nous de mettre en œuvre nos propres idées.

Pourquoi avez-vous choisi de vous tourner vers la physique quantique ?

La physique quantique est le domaine dans lequel j’ai trouvé le meilleur compromis entre la complexité de ce qu’on fait d’un point de vue théorique et l’accès direct à l’expérience. J’ai un peu tâtonné pendant mes études. J’ai eu l’occasion de travailler dans des domaines où l’on faisait tout nous-même et dans d’autres où des milliers de personnes travaillaient chacun à une tâche précise sur des instruments énormes. Je ne m’y suis pas senti à ma place car j’ai eu l’impression de n’être qu’une petite vis dans une grosse machine. Actuellement, les machines sur lesquelles nous travaillons sont relativement compliquées mais nous restons polyvalents. En effet, à l’inverse d’un gros groupe industriel, où les services sont plutôt cloisonnés, notre équipe est composée de cinq chercheurs et fonctionne à l’image d’une start-up technologique.

Pouvez-vous rappeler brièvement en quoi consiste la physique quantique et ses enjeux ?

La physique classique, comme la physique quantique, cherche à expliquer le monde dans lequel on vit. Pour simplifier, la physique classique s’intéresse à ce qui se passe à notre échelle. La physique quantique décrit quant à elle la manière dont se comportent les objets microscopiques : les molécules, les atomes ou les particules. Elle joue un rôle clé en chimie, mais aussi dans le fonctionnement des transistors, des disques durs ou des lasers, donc dans toute l’informatique et les communications modernes.

Quel est votre projet de recherche ?

L’un des gros projets de notre équipe consiste à créer une plateforme expérimentale capable de faire interagir efficacement des particules de lumière entre elles et de contrôler les propriétés de leurs interactions. Les particules de lumière, les photons, se croisent sans jamais interagir : à la différence de deux jets d’eau, lorsque deux voitures se croisent la nuit, la lumière des phares de l’une ne détournera jamais la lumière des phares de l’autre. Pour réaliser ces expériences on combine les idées et les techniques de différents domaines de recherche comme la physique atomique, l’optique quantique, la nano photonique ou l’imagerie biomédicale. Ces expériences sur l’interaction des photons font partie d’un domaine en pleine expansion avec de très forts enjeux scientifiques et technologiques : l’ingénierie quantique. Celle-ci  regroupe des recherches visant à concevoir des dispositifs de rupture qui exploitent les phénomènes physiques de la superposition et de l’intrication quantique. Une des applications possible est par exemple la cryptographie quantique qui permet de distribuer une clé de chiffrement secrète entre deux interlocuteurs distants, tout en assurant la sécurité de la transmission.

Pourquoi associe-t-on souvent la physique quantique à l’incertitude ?

Le principe d’incertitude est l’un des enseignements de la mécanique quantique : il est impossible de connaître avec précision à la fois la position et la vitesse d’une particule. Les objets quantiques qu’on manipule au laboratoire ont des comportements que nous arrivons à observer à leur échelle mais que nous ne pouvons pas observer à notre échelle. Dans mes manipulations, une particule peut être à deux endroits en même temps. On dit que la particule est dans un état délocalisé : à la fois ici et là-bas.

Vous avez sans doute déjà entendu parler du paradoxe du chat de Schrödinger. Il a été imaginé pour illustrer l’absurdité de la physique quantique lorsqu’on l’applique à des objets complexes dits macroscopiques (à notre échelle). Le physicien Erwin Schrödinger a  imaginé en 1935 un chat enfermé dans une boîte avec un dispositif mortel. En considérant qu’un atome a une chance sur deux de se désintégrer sur une période d’une minute, alors les équations de la physique quantique décrivent l’état du chat en disant qu’il est 50% vivant et 50% mort, contrairement à la physique classique où on décrit l’état du chat en disant qu’il est soit vivant soit mort. Ce n’est que si un observateur ouvre la boîte que les solutions de la physique quantique se réduisent et donnent un chat 100% vivant ou 100% mort.

Ce genre d’expérience fait la différence entre le hasard classique et le hasard quantique. Avec le hasard quantique nous avons une incertitude sur le résultat de la mesure mais nous savons parfaitement ce qui se passe dans la boîte.

A quoi mène la physique quantique pour un jeune chercheur aujourd’hui ?

Chaque année une à deux personnes sortent du laboratoire. En tant que responsable d’équipe, j’essaie de faire en sorte que leur passage ne soit pas juste une parenthèse dans leur vie professionnelle mais une véritable expérience au cours de laquelle ils ont appris à mener une véritable réflexion et pas simplement mémoriser et restituer des connaissances. Aider les chercheurs de mon laboratoire à s’intégrer dans le monde professionnel est pour moi un véritable enjeu. En mettant notre réseau à leur disposition, nous essayons de les accompagner au mieux pour trouver un nouveau poste qui soit tout aussi intéressant et stimulant.

Après leur thèse ou leur post-doctorat, les chercheurs issus des laboratoires dans lesquels j’ai travaillé ont pu par exemple s’orienter vers des domaines variés : après une thèse en spectroscopie, l’un est par exemple parti travailler sur des capteurs d’airbag chez Bosch, un autre fait du big data avec des outils optiques aléatoires dans une start-up et un ancien doctorant travaille désormais dans le secteur des assurances chez Allianz.

Les grands groupes industriels ne cherchent pas nécessairement quelqu’un qui sera tout de suite prêt à l’emploi. Ils recherchent avant tout des profils très polyvalents, capables de  travailler sur un projet long et de résoudre des problèmes compliqués.

Cela fait bientôt sept ans que  vous travaillez au Collège de France, comment vivez-vous cette expérience ?

En ce moment par exemple, des résultats commencent à arriver. Nous devons mobiliser tous nos efforts. A mon grand regret, je n’ai donc pas souvent le temps d’assister aux cours des professeurs. Je me tourne donc davantage vers les podcasts audio lorsque mon emploi du temps me le permet.

En revanche, ce qui me plaît réellement au Collège de France, c’est cette ambiance de travail saine et stimulante dans laquelle nous menons nos recherches. Dès mon arrivée, les chercheurs de l’Institut  de physique m’ont accueilli, aidé et soutenu en me prêtant par exemple du matériel. En plus d’être enrichissants, ces échanges contribuent à une bonne atmosphère de travail et d’entraide.

Propos recueillis par Lucie Batier Le Goff