Rencontre avec Colombe Saillard, chercheuse aux côtés du Pr Pierre-Michel Menger, chaire Sociologie du travail créateur, qui s’intéresse au parcours scolaire en mathématiques en France. Ses travaux visent notamment à mieux comprendre la baisse de l’appétence et de la performance dans cette discipline, et sur quels leviers pourraient porter des politiques éducatives efficaces.

Quel parcours vous a mené jusqu’à la recherche ?

J’ai d’abord étudié les mathématiques à l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) dans le cadre d’une licence généraliste. J’ai ensuite intégré l’ENSAE, où j’ai pu me spécialiser dans des domaines mathématiques associés à la gestion et à l’analyse de données et découvrir leurs applications en particulier en sciences sociales (économie et sociologie). Déjà certaine, suite à des stages, de vouloir poursuivre en thèse de sociologie et étant désireuse de découvrir d’autres types de méthodes d’enquête ainsi que d’étendre mon bagage conceptuel dans cette discipline, j’ai réalisé un master de sociologie au sein de l’École de la recherche à Sciences Po. C’est notamment dans le cadre de ce master que j’ai pu approfondir mon intérêt pour la sociologie des sciences et commencer à étudier les mathématiques en réalisant un mémoire consacré à la création d’un musée des mathématiques au sein d’un prestigieux établissement de recherche parisien.

Au Collège de France, vous travaillez auprès du Pr Pierre-Michel Menger, chaire Sociologie du travail créateur. En quoi consistent vos recherches ?

Mon travail porte sur la scolarité en mathématiques en France dans le primaire et le secondaire. C’est un sujet extrêmement vaste, c’est pourquoi j’ai choisi de me concentrer sur trois enjeux principaux. Je cherche en premier lieu à quantifier les écarts de performances entre individus en mathématiques, à comprendre à quel moment et en fonction de quoi ils se créent et à savoir dans quels contextes ils se maintiennent, se réduisent ou s’amplifient au cours de la scolarité. Un deuxième axe du travail concerne plus spécifiquement l’orientation en mathématiques au lycée. Suite à la suppression des filières du lycée général, beaucoup d’acteurs privés et publics s’inquiètent de constater une diminution globale du nombre de lycéen.ne.s choisissant de se spécialiser en sciences et un accroissement des inégalités sociales et genrées d’accès aux mathématiques au lycée. Le travail que je conduis a pour objectif de contribuer à documenter empiriquement ces évolutions et de proposer des pistes permettant de les expliquer, en donnant à voir comment se construisent concrètement les choix des lycéen.ne.s dans des contextes précis.

Enfin, j’ai choisi de m’intéresser à la pratique mathématique des élèves dans des environnements qui ne soient pas purement scolaires. Ce sujet me semble particulièrement pertinent à étudier dans la mesure où la pratique extrascolaire des mathématiques est régulièrement présentée dans les médias et dans les programmes politiques – qui s’appuient souvent d’ailleurs sur des travaux scientifiques – comme une solution possible au problème de la baisse de l’appétence et de la performance dans cette discipline. C’est pourquoi j’ai entrepris d’explorer le monde des compétitions mathématiques afin de tâcher de décrire qui participe à ces compétitions et ce que la préparation, la participation ou la réussite à différents concours de mathématiques peuvent produire dans des trajectoires scolaires et professionnelles.

Vous pratiquez à la fois le travail sur données et l’enquête de terrain. Quelles sont les avantages d’une telle méthode en sociologie ?

Le travail quantitatif sur des données à grande échelle et le travail qualitatif sur des cas plus restreints se nourrissent mutuellement. Le premier permet de dresser un portrait d’ensemble d’une situation en établissant l’inventaire des cas possibles et en donnant une idée de leur caractère plus ou moins « normal », au sens statistique du terme. Le second permet d’approfondir l’analyse de ces cas pour donner à comprendre ce qui produit la fréquence de certaines situations, ou ce qui permet au contraire l’exception. Le travail de terrain génère à son tour de nouvelles questions en mettant en lumière des variables qui n’étaient pas préalablement présentes dans la littérature, et conduit par conséquent en retour à un enrichissement considérable de l’analyse quantitative. En ce qui concerne la pratique quotidienne de la recherche et d’un point de vue peut-être plus personnel, le fait d’aller sur le terrain permet de maintenir l’intérêt et la curiosité à travers les interactions avec les enquêté.e.s et de ne pas perdre de vue que les objets étudiés ne sont pas de pures abstractions. Le fait de côtoyer régulièrement les données aide à prendre du recul et à ne pas se perdre dans la particularité des cas, en les rapportant constamment à un contexte plus général.

L’enquête PISA démontre depuis plusieurs années la baisse régulière du niveau des jeunes français en mathématiques. Selon vous, quel rôle peut jouer la recherche en sociologie pour favoriser la réussite pour tous ?

La recherche en sociologie permet en premier lieu de dresser un portrait de la situation mathématique française en s’appuyant sur des données empiriques et en s’interrogeant réflexivement sur l’état du débat public et scientifique sur la question. Que nous apprennent les données d’enquête sur l’évolution du niveau en mathématiques français ? Comment sont produites ces données ? Quand, comment, par qui et à quelles fins ont-elles été mobilisées ? Pourquoi sont-elles aujourd’hui centrales dans le débat public alors qu’elles ont longtemps été ignorées ? Tel est le type de questions que la sociologie peut contribuer à éclairer, tout en affinant l’analyse pour dépasser le simple constat d’une baisse du niveau moyen.

D’autre part, en reliant la question de cette baisse des performances des élèves français aux évaluations nationales et internationales du niveau en mathématiques à la question des déterminants et des contextes sociaux plus ou moins favorables à la réussite et à la progression en mathématiques, on peut imaginer des politiques publiques précisément susceptibles de favoriser la réussite pour tous et toutes. Pour donner un exemple, un des enjeux de mon travail sur l’évolution des performances des élèves au cours de la scolarité est de réussir à identifier des cas d’élèves en progression. Mon objectif est de comprendre quelles caractéristiques sociales des élèves, de leurs familles, de leur environnement scolaire et de leur scolarité sont souvent associées à une amélioration des résultats en mathématiques, ce qui est d’autant plus intéressant que cette matière est réputée être très cumulative, c’est-à-dire que la réussite à une année donnée dépendrait fortement de la réussite les années précédentes. Si les résultats sont concluants, nous serons ainsi à même d’identifier quelles caractéristiques de la situation scolaire peuvent favoriser la progression en mathématiques en tenant compte du profil de l’élève et de l’environnement social de l’établissement, autrement dit de mettre en lumière les facteurs sur lesquels pourraient porter des politiques éducatives efficaces.

À quoi ressemble votre quotidien de jeune chercheuse au Collège de France ?

Comme mon cursus dans l’enseignement supérieur le laisse à deviner, j’ai souvent hésité au cours de mon parcours entre plusieurs disciplines qui m’intéressaient fortement. Une des raisons pour lesquelles j’ai finalement choisi de me spécialiser en sociologie est l’aspect extrêmement varié et peu monotone du quotidien de la recherche. Il serait assez difficile de décrire une journée type, ce qui personnellement me plait beaucoup. Je peux néanmoins identifier quatre grands types de tâches que je réalise au quotidien. Une part importante de mon temps est consacrée à la lecture : je lis des travaux généraux en sociologie de l’éducation, des travaux plus directement liés à mon sujet, et des travaux ou des cours me permettant de progresser sur des méthodes d’enquêtes qualitatives et quantitatives. Un second type de tâches est lié à la récolte et à l’analyse de données : il s’agit de mettre en forme et de nettoyer des données et d’utiliser ensuite des logiciels statistiques pour en tirer principalement des chiffres et des graphiques. Un troisième grand type de tâches concerne le travail de terrain : imaginer des procédures d’enquêtes, chercher des contacts, conduire des observations et des entretiens, réaliser des questionnaires, etc… Toutes ces données recueillies sur le terrain doivent également être mises en forme, comparées et analysées. Enfin, j’ai aussi des tâches liées à des activités d’enseignement ou de participation à la vie de la chaire.

Cours du Pr Pierre-Michel Menger, chaire Sociologie du travail créateur

Avec l’initiative Agir pour l’éducation, les Professeurs du Collège de France souhaitent porter la recherche scientifique sur le terrain de l’éducation et déployer des outils et initiatives pour les élèves. L’initiative bénéficie du soutien de la Fondation du Collège de France.