Rattaché à la chaire Matière molle et biophysique du Pr Jean-François Joanny, Louis Brézin s’intéresse à l’organisation spatiale et aux mouvements collectifs des cellules qui forment les tissus. À la jonction de la physique et de la biologie, ce travail pourrait, à terme, permettre de mieux comprendre les différents types de migrations cellulaires, phénomène au cœur de l’apparition et du développement des tumeurs cancéreuses. Pendant un an, la Fondation du Collège de France a soutenu son travail de thèse, un financement exceptionnellement prolongé en raison de la pandémie. Entretien.

Quel parcours vous a mené jusqu’à la recherche ?

Mon parcours est assez classique : j’ai fait une classe préparatoire avant d’intégrer une école d’ingénieur généraliste qui s’appelle l’ENSTA. Après ça j’ai suivi un master 2 en physique théorique à Jussieu et je prépare aujourd’hui une thèse en physique. C’est en classe préparatoire que j’ai vraiment commencé à faire de la physique et à l’apprécier. Ce qui m’a attiré, c’est cette volonté de construire une vision simple pour expliquer de nombreux phénomènes. J’ai toujours été très curieux et j’aime comprendre les choses qui m’entourent, c’est donc assez naturellement que je me suis tourné vers la recherche. Participer à l’enrichissement du savoir collectif et en faire mon métier me plaît beaucoup, en particulier dans le domaine de la recherche publique qui me permet une liberté qu’on ne retrouve pas dans le secteur privé.

Au Collège de France, vous travaillez auprès du Pr Jean-François Joanny, chaire Matière molle et biophysique, en quoi consistent vos recherches ?

Le but de mon travail est à la frontière entre la biologie et la physique, j’essaye de comprendre l’organisation spatiale et les mouvements collectifs des cellules qui forment les tissus. À l’échelle des tissus, le comportement individuel de chaque cellule compte peu et nous disposons d’outils issus de la physique statistique pour décrire les mouvements collectifs d’un grand nombre de cellules. Ces cellules qui sont vivantes consomment de l’énergie et sont capables d’exercer des forces sur leur milieu. Je m’intéresse au type de mouvements collectifs que peuvent générer de telles forces dites actives, par exemple lorsqu’on décide de confiner des cellules dans une géométrie particulière.

À terme, comprendre ces mouvements pourrait nous permettre de mieux comprendre les différents types de migrations cellulaires ce qui est un problème très important dans l’apparition et le développement de tumeurs cancéreuses.

C’est pour cela que je collabore avec des chercheurs de l’Institut Curie pour la partie expérimentale. Il y a un va et vient constant entre les expériences et la théorie. On va par exemple suggérer une nouvelle expérience pour vérifier une prédiction de la théorie ou inversement essayer de modéliser une observation expérimentale.

Comment passe-t-on de la physique à l’étude de phénomènes biologiques ?

La biologie est une science très complexe et pose des questions différentes de celles posées en physique. Très généralement, l’approche de la physique face à un problème est la simplification pour comprendre les aspects les plus fondamentaux et essayer de dégager les principes les plus universels possible. À l’inverse, l’approche des biologistes est plus fonctionnelle et va plutôt chercher à comprendre en détail les mécanismes d’un problème spécifique, sans forcément avoir cette volonté d’universalité. Il n’en reste pas moins qu’il existe un pont entre ces deux disciplines : le vivant pose de belles questions de physique fondamentale notamment en ce qui concerne la mécanique statistique hors de l’équilibre.

De manière plus ambitieuse, essayer de dégager des principes généraux et universels en biologie est quelque chose de très intéressant. Inversement la physique peut apporter des outils pour résoudre des problèmes de biologie. Il y a un grand développement de la biophysique, qui utilise par exemple des outils avancés issus de l’optique pour faire de l’imagerie dans les cellules, ou des outils de la mécanique pour comprendre l’apparition de structures dans le vivant.

Dans tous les cas, ce qui rend cette collaboration entre physiciens et biologistes si riche c’est la possibilité de dialogue entre la théorie et les expériences.

Depuis septembre 2019, vous exercez au Collège de France. À quoi ressemble votre quotidien de jeune chercheur ?

Le Collège de France est un environnement scientifique exceptionnel : il y a des chercheurs de grande qualité, les locaux sont calmes, spacieux et offrent des conditions de travail optimales. De plus, la situation géographique sur « la montagne » (NDLR : la montagne Sainte-Geneviève) est très pratique pour les interactions scientifiques. Mon quotidien est fait principalement de travail seul à mon bureau, mais j’ai beaucoup d’interactions avec mes encadrants qui sont très disponibles ainsi qu’avec mes collaborateurs à l’Institut Curie. Il y a aussi beaucoup d’échanges avec d’autres jeunes chercheurs, et une offre exceptionnelle de séminaires de qualité toute l’année au Collège de France et dans les institutions voisines !

Propos recueillis par Léna Boukili